Lorsqu’elle regardait Didier Drogba jouer à la télévision, Djeneba, la vendeuse d’oranges, avait du mal à retenir ses émotions. Supporter numéro 1 des bleus d’Angleterre, pour son idole, devant le petit écran, la jeune femme se trémoussait sur son tabouret, les yeux pétillants de bonheur. La hargne du footballeur sur le terrain, sa combativité, sa ruse devant le filet, son charisme, tout lui plaisait en l’athlète si bien que son rêve, c’était de le rencontrer, un jour. Juste le rencontrer. À Ferkessédougou, dans le petit quartier où elle faisait son commerce de fruits toujours habillée d’un maillot contrefait du 11 de chelsea, la vendeuse avait fini par se faire coller un pseudo. On l’appelait Djeneba-Drogba. DD.Un matin de l’année 2006, elle prit le premier car pour Abidjan. 600 kilomètres d’un tronçon calamiteux parcouru ! Le président Gbagbo avait demandé qu’on réservât un accueil chaleureux aux éléphants, finalistes malheureux de la CAN face à l’Égypte. Les pachydermes, tombés les armes à la main, avaient produit une prestation des plus remarquables si bien qu’ils avaient enflammé les cœurs des populations de feu d’artifice. C’est le cœur débordant de gaieté que par milliers, elles prirent d’assaut le périmètre de l’aéroport Félix Houphouët Boigny. Parmi ce peuple fourmillant en liesse, se trouvait Djeneba, venue de Ferké, rien que pour son idole… L’ attente des éléphants était pénible au milieu de la foule en branle. La jeune femme était bousculée, piétinée… Vers 11 heures, un bruit volcanique se souleva depuis l’enceinte de l’aéroport, signe que les héros nationaux étaient là… Djeneba dut attendre des heures avant de voir le cortège des pachydermes passer à une cinquantaine de mètres d’elle. Elle ne pouvait pas s’approcher davantage, les policiers et la foule se faisant la cuirasse et l’écu des vices champions d’Afrique. La supportrice de Ferké cria à en perdre la voix lorsqu’elle aperçut Didier au milieu de ses coéquipiers. – Drogbaaaaaaaa !Le joueur, casquette renversée, les yeux dans le public, saluait la foule chaleureuse. Djeneba avait l’impression qu’il lui avait adressé spécialement un clin d’œil…Lorsque la jeune fanatique apprit que les éléphants étaient logés dans une résidence privée de Cocody, elle s’y aména dans la soirée en demandant poliment aux agents de garde, à voir son idole. Ces derniers la dévisagèrent avec dedain, riant de sa prétention : – Facilement comme ça vous voulez voir Drogba. Parce que vous seriez sa servante ?On ricana d’elle avant de la renvoyer comme une malpropre. Djeneba passa la nuit chez sa sœur à Abobo derrière rail, puis rentra sur Ferké, le lendemain. Elle avait appris à ses dépens que les stars étaient protégés comme des demi dieux…La jeune femme n’eut pas plus de chance en 2012 lorsqu’elle récidiva l’aventure, au retour des éléphants de Libreville après leur défaite face à la Zambie. Le pays leur avait réservé un accueil des plus mémorables en raison de leur parcours immaculé. Au milieu de la foule, alors qu’elle s’apprêtait à tirer un selfie à cent mètres du cortège de sa star, des bras surexcités l’avaient bousculée. L’écran de son téléphone s’était brisé au sol, sa main broyée par des sabots alors qu’elle effectuait le geste de le ramasser…À Ferkessédougou, on trouvait qu’elle était folle, elle qu’on taguait d’être la première fan de Didier Drogba. D’ailleurs, quand le 11 de Chelsea raccrocha avec l’équipe nationale, plus jamais Djeneba ne s’intéressa aux matchs des éléphants. Son cœur quitta Chelsea également lorsque Drogba enfila un autre maillot.Djeneba avait fini par se convaincre que jamais elle ne verrait son idole. C’était un rêve irréalisable !Plus de 14 ans après, un matin, comme à ses habitudes, elle avait exposé ses fruits au bord de la route, à la sortie de son petit quartier de Ferké. La demi journée n’avait pas été du tout fameuse… Soudain, en début d’après midi, après une fine pluie, une grosse voiture blanche se gara près de son commerce. Le client mit les pieds au sol et s’approcha des bassines pleines de fruits. Djeneba, assise sur un morceau de pagne en hauteur et à même le sol, se leva en faillant glisser. Elle regarda le géant à la casquette renversée, se frotta les yeux, les écarquilla, les frotta à nouveau. Son esprit lui jouait peut-être un tour…- C’est combien vos fruits ? demanda le client en caressant la tête des fruits qu’il avait pris.- Didier Drogba ?Le footballeur regarda la jeune vendeuse qui venait de l’interpeller. Il y avait toute une histoire dans l’encre de ses yeux ! Deux larmes perlèrent sur les joues de la commerçante. Elle s’avança, agitée, en allant accolader son démiurge. Ce dernier la prit par l’épaule en l’invitant dans sa voiture… Là, assis confortablement à la banquette arrière, ils discutèrent comme s’ils se connaissaient depuis belle lurette. Djeneba raconta à une oreille attentive, toute l’histoire d’une fanatique. Il n’y avait pas de foule autour d’eux, plus de policiers, aucun cortège, aucune barrière ! Son amour démesuré pour le footballeur était si fort que la providence avait tenu à le lui amener, sur son lieu de commerce, sur un plateau d’or…Quand l’athlète ouvrit le coffre de sa voiture, ce fut pour y décharger toutes les bassines de sa fan. Le lendemain, Djeneba fit un tour à la banque pour troquer le chèque qu’on lui avait remis. Une semaine plus tard, elle avait quitté la rue, devenue propriétaire du plus grand supermarché de Ferkéssefougou qu’elle baptisa ALIMENTATION DJENEBA DROGBA…Louis-César Bance